La perception du goût résulte d’un subtil équilibre entre papilles gustatives et odorat, finement coordonné par le cerveau. Lorsque cet orchestre se désaccorde, la saveur s’efface, bouleversant alimentation, souvenirs, plaisir et émotions. Explorer ce phénomène, ses causes et ses solutions offre des clés précieuses pour raviver une richesse sensorielle souvent plus fragile qu’on ne l’imagine.
Perte de goût : notions clés pour cerner le problème
Goût, odorat, rétro-olfaction : comment la saveur se construit dans le cerveau
Quand vous croquez dans une fraise, vous envoyez à votre cerveau une vraie cascade de messages.
Votre langue détecte quelques grands profils (sucré, salé, acide, amer, umami) grâce aux papilles gustatives.
Pendant ce temps, dès la mastication, des molécules aromatiques rejoignent l’arrière de votre gorge et stimulent l’odorat.
C'est la fameuse rétro-olfaction, une sorte de pont sensoriel : nez et bouche collaborent, et le cerveau recompose la "vraie" saveur.
Voilà pourquoi un café, un vin ou un morceau de chocolat semblent fades lorsque le nez est bouché.
Bien souvent, ce sont les arômes - portés par l’odorat - qui façonnent la signature d’un plat.
En réalité, parler de "perte de goût" revient très souvent à désigner une perte ou un trouble de l’odorat.
Comprendre ce jeu d’équilibre aide déjà à mieux se situer et à expliquer ce ressenti au médecin.
Hypogueusie, dysgueusie, anosmie : définitions pour mieux qualifier ses symptômes
Poser les bons mots permet d’éclairer ce que l’on traverse :
- Hypogueusie : tout semble plus fade, les saveurs sont présentes mais comme diluées.
- Agueusie : disparition quasi complète du goût, phénomène rare.
- Dysgueusie : goût déformé, parfois métallique, persistant, voire franchement désagréable.
- Anosmie : perte totale de l’odorat, vécue souvent comme une perte de goût.
- Hyposmie : odorat affaibli.
À la maison, quelques tests simples peuvent aider :
Distinguer eau sucrée et salée, goûter un aliment riche en arômes (café, basilic) nez bouché puis débouché, observer si c’est le sucré, le salé ou surtout les arômes qui semblent manquer.
Ces troubles influencent l’alimentation au quotidien : on peut perdre l’appétit, rechercher plus de sucre ou de sel, se détourner de certains plats.
Observer ces changements sans jugement, c’est déjà avancé.
Quand faut-il consulter ? Signes d’alerte vs simple baisse passagère
Un rhume, une sinusite ou la fatigue passagère peuvent temporairement brouiller la perception du goût.
La vigilance monte d’un cran si la situation persiste au-delà de 2 à 4 semaines, ou si ces signes s’ajoutent :
- fièvre, douleurs du visage, maux de tête inhabituels,
- perte de poids involontaire, écœurement général face à la nourriture,
- essoufflement, étourdissements, troubles neurologiques associés.
Pour préparer la consultation, notez vos observations :
Date de début des symptômes, évolution, déclencheurs éventuels (infection, médicament), exemples d’aliments perçus comme "plats" ou bizarres, ressenti émotionnel.
Pourquoi le goût est-il lié au bien-être global ? (émotions, mémoire, système nerveux)
Le goût et l’odorat sont intimement reliés à la mémoire et à la sphère émotionnelle dans le cerveau.
Il suffit parfois d’une odeur de tarte ou de café pour faire resurgir des souvenirs enfouis et des sensations de réconfort.
Partager un repas active aussi le circuit du plaisir et de la récompense (dopamine).
Au-delà de la simple alimentation, il y a le sentiment d’être nourri, satisfait, relié.
Quand cette source de plaisir disparaît, le moral peut vaciller, l’appétit aussi, et les liens sociaux s’en ressentent.
Le nerf vague relie cerveau et ventre : il transmet des signaux de digestion, de satiété, de bien-être après un repas réconfortant.
Perdre le goût, c’est parfois perdre un ancrage intime.
L’admettre, c’est déjà amorcer une reconquête de son équilibre.
Les causes courantes d’une altération du goût
Le stress et l’anxiété chronique
Un corps sous tension permanente désorganise l’ensemble de l'expérience sensorielle.
Le stress chronique, sous l’effet du cortisol, épuise le système nerveux et trouble la digestion.
La bouche s’assèche, la salive manque, et les informations gustatives atteignent moins facilement le cerveau.
À force de ressasser ou d’absorber ses soucis, on mange vite, distrait, et les saveurs passent en arrière-plan.
Des réflexes se mettent parfois en place :
Grignotages sucrés ou salés pour s’apaiser, repas décalés ou sautés, joli lot de cafés ou boissons excitantes.
Progressivement, tout semble fade.
Retrouver des moments paisibles à table, respirer, s’ancrer, permet déjà de réactiver ce sens.
Vieillissement naturel et perte progressive de papilles
Avec le temps, le goût change.
Dès la quarantaine, il y a moins de papilles sur la langue, et on devient moins sensible à certaines saveurs, surtout l’amer et le salé.
La bouche devient plus sèche avec l’âge, car la salivation diminue aussi.
Or la salive véhicule les molécules du goût ; quand elle manque, tout paraît moins intense.
Autre facteur : la prise de nombreux médicaments - antihypertenseurs, antidépresseurs, traitements du diabète ou du cholestérol.
Ils peuvent modifier goût ou odorat, parfois de façon additive.
Mieux comprendre ces mécanismes aide à personnaliser l’assaisonnement, la texture et la température des plats, pour garder du plaisir à table.
Pathologies légères et épisodes temporaires
De nombreux petits soucis saisonniers (rhume, allergies, COVID-19, sinusite) peuvent temporairement effacer ou brouiller les saveurs.
Le nez se bouche, la muqueuse s’enflamme, et l’odorat ne suit plus, avec le goût en victime collatérale.
Certains antibiotiques ou traitements pour la tension laissent un arrière-goût métallique ou une sensation de bouche pâteuse.
Ces effets gênants disparaissent le plus souvent à l’arrêt du médicament.
Pendant ces passages à vide, misez sur des textures douces, variez les températures, titillez les plats avec herbes fraîches et aromates :
Votre goût retrouvera souvent son allant une fois l’organisme remis d’aplomb.
Habitudes de vie et facteurs aggravants
Certains choix au quotidien émoussent, discrètement mais sûrement, la palette des saveurs.
Le tabac atténue le goût et assèche la bouche ; l’alcool irrite et déséquilibre la flore buccale.
Une alimentation très sucrée, répétitive, désensibilise progressivement au subtil.
Les papilles peinent alors à percevoir l’amer, l’acide ou les notes végétales.
Carences en zinc ou vitamines B, fréquentes dans des régimes très pauvres en diversité, ralentissent le renouvellement des muqueuses et faussent la perception.
Petit à petit, réintroduisez diversité, zinc (legumineuses, fruits de mer, graines), vitamines B (levure de bière, céréales complètes, œufs)…
Votre paysage intérieur retrouvera progressivement du relief.
Stimuler le goût grâce aux autres sens : stratégies pratiques
Odorat : réveiller la rétro-olfaction
Quand le goût se fait timide, il faut souvent redonner la parole à l’odorat.
La rétro-olfaction se réveille avec un simple apprentissage quotidien : choisissez 3 à 4 odeurs (zeste de citron, café, vanille, herbe fraîche), inspirez-les profondément une vingtaine de secondes, deux fois par jour.
Essayez de leur associer un souvenir ou une image marquante.
Avant chaque repas, respirez lentement par le nez, puis expirez par la bouche : cela débouche le nez et allume la vigilance du cerveau aux arômes.
Vue : le pouvoir des couleurs et du dressage d’assiette
L’appétit commence par le regard.
Une assiette vivante, contrastée, met déjà le cerveau en alerte : couleurs vives (légumes crus/cuits, herbes, graines, fruits).
Jouez aussi sur la vaisselle : des supports chaleureux, un éclairage doré, et tout semble tout de suite plus attirant.
Le cerveau perçoit davantage de chaleur, de gourmandise.
Toucher et texture : varier croquant, crémeux, effervescent
La diversité des textures donne une nouvelle profondeur au repas, même sans explosion de goût.
Privilégiez : grillades, légumes rôtis, croûtons dorés, tempura ultra-légère, mousses parfumées pour l’aérien.
Ajoutez à vos assiettes des toppings texturés : graines torréfiées, éclats de noisette, pickles, crackers émiettés.
Prenez le temps de mastiquer, pour libérer plus d’arômes à chaque bouchée.
Ouïe : "crispy feedback" et ambiance sonore
Le son des aliments influence la sensation gustative.
Un aliment croquant paraît plus salé, plus frais.
Amusez-vous à intégrer des éléments croustillants ou granuleux (granola, légumes crus).
Et selon les jours, tentez l’expérience d’un repas musical ou, à l’inverse, d’un instant de silence, juste à l’écoute des sons que vous produisez en mangeant.
Vous verrez, un même plat change d’âme selon l’environnement sonore.
Température et trigéminal : chaud/froid, épices, menthol
Le nerf trigéminal ressent chaud, froid, piquant ou effervescent.
Incitez ces sensations sans brutalité :
Alternez soupes chaudes et toppings frais, salades tièdes, desserts glacés nappés de coulis chaud.
Misez sur les épices douces, les herbes mentholées, en veillant à ne jamais agresser les muqueuses.
L’enjeu : stimuler, jamais choquer.
Pleine conscience alimentaire
Pour réveiller vos sens, il faut leur laisser un vrai espace.
Mangez sans écran, en limitant les distractions.
Mâchez lentement, ressentez la couleur, la texture, la température, jusqu’au son de la mastication.
Un petit scan sensoriel, même cinq minutes, peut progressivement changer le rapport au goût.
Recettes multisensorielles et rituels quotidiens pour retrouver goût et bien-être
Trois boissons réveil-papilles
Au réveil, misez sur une boisson qui éveille tous les sens :
- Eau pétillante citron-gingembre : Dans un grand verre, combinez eau gazeuse, rondelles de citron, lamelles de gingembre frais et une touche de miel. Ecoutez le crépitement avant la première gorgée.
- Lait d’or safrané : Faites chauffer un lait végétal, ajoutez curcuma, safran, une pincée de poivre, un peu de sirop d’érable. Remuez doucement, observez la teinte dorée, humez la chaleur enveloppante.
- Smoothie vert menthe-citron-pomme : Mixez pomme, concombre, citron, menthe et eau bien fraîche. Savourez lentement, la fraîcheur de la menthe tranche avec l’acidité du citron et la douceur de la pomme.
L’essentiel : réveiller les papilles avec douceur, en invitant tous les sens au petit-déjeuner.
Trois assiettes colorées "boost"
Faites du repas un terrain de jeu sensoriel :
- Buddha bowl arc-en-ciel : mélangez céréales complètes, légumes crus/cuits de différentes couleurs, graines croquantes, sauce au tahini et citron.
- Saumon teriyaki et radis pickles : un filet de saumon laqué, accompagné de radis marinés minute au vinaigre doux. Profitez du contraste moelleux/acide/croquant.
- Curry coco-légumes curcuma-coriandre : légumes de saison mijotés dans du lait de coco parfumé au curcuma et coriandre fraîche. Prenez le temps de sentir avant la première bouchée.
Retenez ce principe simple : une assiette vivante rime avec goût retrouvé.
Rituel hebdo "marché des sens"
Une fois par semaine, sélectionnez un aliment encore inconnu, repéré sur un marché ou en magasin bio : fruit rare, herbe, épice.
Explorez-le sous toutes les coutures :
Ressentez sa texture, sa couleur, son odeur.
Cuisinez-le simplement, pour qu’il prenne la vedette.
Ce geste stimule la curiosité et sort vos sens du quotidien automatique.
Micro-habitudes quotidiennes
Ancrez quelques réflexes simples :
- Pause respiration 5-4-7 avant le repas : inspirez 5 secondes, retenez 4, expirez 7. Trois cycles pour vous apaiser avant de passer à table.
- Eau aromatisée maison : glissez limon, herbes, ou épices (thym, cannelle) dans votre carafe.
- Brossage de langue matin et soir : quelques secondes suffisent pour libérer les capteurs gustatifs.
Suivi et auto-évaluation
Tenez un carnet des saveurs pour mesurer vos évolutions :
- Notez l’intensité perçue de chaque repas (échelle de 1 à 10).
- Repérez ce que vous sentez le mieux (salé, sucré, texture, odeur...).
- Évaluez votre plaisir général.
Faites le bilan chaque semaine :
Semaine 1, c’est la découverte ; semaine 2, la curiosité ; semaine 3, l’affinement ; semaine 4, la confiance.
Ajustez vos habitudes selon votre ressenti : davantage de chaud et moelleux si c’est rassurant, plus de croquant si le besoin d’énergie domine.
Votre palais, jour après jour, retrouve sa boussole.
La perte de goût est au carrefour du corps, des sens et de l’esprit.
En comprenant ses racines et en jouant sur plusieurs leviers sensoriels, vous pouvez renouer avec le plaisir alimentaire et retrouver un nouvel équilibre intérieur.
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